Une ringardise énergivore

Une critique de Pierre Cambon

 

Dans son numéro 55, la revue « artdeville » publie un dossier intitulé «l'Occitanie au défi de l'énergie positive pour 2050», l'énergie positive étant un des marqueurs de la modernité architecturale et urbaine.


Mais les journalistes décèlent aussi une pierre dans le jardin occitan: la « tour Occitanie » qui n'affiche pas la même ambition.
Étonnant que ce projet identifié comme « un symbole, un signe urbain fort à la hauteur de l’ambition européenne de Toulouse » par le maire de la ville, ne revendique pas l'énergie positive qui deviendra une norme obligatoire en 2020.

 
Qui plus est, ça commence mal pour le signal toulousain, car la Ligne à Grande Vitesse qui devait arriver à Matabiau, et prétexte de toute cette agitation urbaine, rencontre bien des difficultés et ne verra pas le jour aussi vite qu'espéré car obsolète au regard des besoins et des moyens actuels : les trains du quotidien et un aménagement TGV du tracé existant entre Bordeaux et Toulouse semblant plus adaptés.


Et là, on se dit que peut être cette tour, ce gratte-ciel, pourraient, au détriment de Toulouse et de l'Occitanie devenir, s'il voyait le jour, un signal … de ringardise.

 

 

Ringardise architecturale d'abord car les formes urbaines érectiles commencent à dater et sont maintenant plus un apanage de nouveau riche fruste, que des références culturelles comme elles avaient pu l'être il y a 15 ou 20 ans en venant tutoyer des centres historiques séculaires ou millénaires tels Paris, Barcelone ou Londres.
Tout change et à Londres précisément, un des plus récent geste architectural ostentatoire, revendiqué par le milliardaire et ancien maire de New York, Michael Bloomberg, pour le nouveau siège de son entreprise en Europe qui hébergera 4000 employés, prend à contre pied la mode des tours qui poussaient dans ce quartier d'affaire depuis une quinzaine d'années, en réalisant avec l'architecte sir Norman Foster un « chef d’œuvre architectural » qui ne dépasse pas 10 étages, là ou il aurait pu en ériger plus du double, le luxe et l'ostentatoire se situant ailleurs que dans l'agression paysagère devenue vulgaire.
Car si la forme érectile n'est pas nouvelle pour signaler son pouvoir, ainsi que le rappelait Joan Busquets en évoquant les tourelles des Capitouls ou des marchands de pastel au 16éme siècle, la vraie modernité ne résiderait-elle pas d'abord et toujours dans un « contextualisme » tel que s'en réclame notamment Jean Nouvel, lui qui pourtant a commis et continue d'ériger son lot de tours et d'objets symboliques.
Et les marqueurs de notre époque ne sont pas que paysagers, il sont aussi environnementaux et politiques et seul un ringardisme de la pensée peut dans les contextes Toulousain et Européen faire fi de la démocratie, faire fi de l'environnement, pire encore les bafouer comme en témoignent les propos des personnalités consultées par les journalistes de « artdeville ».

 

Ringardise politique, car le Maire de Toulouse annonçant le projet de tour dans un salon immobilier à Cannes devant un parterre de promoteurs et au mépris de la concertation qui venait de s'achever pour l'aménagement du quartier de la gare Matabiau, a justifié sa décision princière en faisant savoir par divers canaux qu'il n'y a pas eu de consultation publique puisque s’agissant d'un projet privé, ce n'était pas obligatoire.
Terrible aveu : les concertations dont se gargarise la Mairie ne seraient donc faites que parce que c'est obligatoire et non pas par souci d'ouverture démocratique!
Certes on s'en doutait un peu vu le peu de cas que fait l'équipe municipale des conclusions des concertations sur la 3ème ligne du métro par exemple, mais en cette période où à travers les révélations sur les paradis fiscaux on mesure la frontière ténue qui existe entre la légalité et la moralité, on ne peut que s'interroger sur cette pratique de l’administration de la cité qui fait de «l'optimisation démocratique» comme d'autres font de «l'optimisation fiscale» et on se dit qu'un gratte-ciel né sous de tels hospices pourrait bien être un symbole de cette ringardise politique.

 

 

Ringardise sociétale, car imaginer marquer maintenant la ville par un symbole qui, qu'on le veuille on non restera phallique, au moment ou un large mouvement féminin mondial met en exergue et en accusation les débordements machistes qui entachent nos sociétés, n'est peut être pas le meilleur choix pour l'aura de la cité, sauf à pousser la ringardise à ne pas s'être aperçu de la profondeur et de l'inexorabilité de cette révolte des femmes.

 

 

Ringardise urbanistique, car dans un contexte ou la législation et la pratique de l'urbanisme évoluent vers une implication croissante des citoyens et une prise en compte accrue des enjeux environnementaux, la lecture de l'interview de la vice présidente de Toulouse Métropole et adjointe au Maire de Toulouse en charge de l'urbanisme, est stupéfiante.
-Elle indique benoîtement que l'idée et l'initiative de la Tour Occitanie émane de la promotion immobilière … et non d'un geste urbain voulu et initié par les politiques et/ou leurs urbanistes (comme on pourrait l'attendre dans la 4ème ville de France)... que le nombre d'étages, heu c'est pas nous, on leur a mis ce qu'ils voulaient … même s'il a fallu passer des 52 mètres de la concertation à 150 mètres… et d'ailleurs c'est pas nous c'est le commissaire enquêteur!
Alors là, on est quand même sidéré qu'une élue en charge de l'Urbanisme ne fasse pas au moins semblant d'exister dans les décisions d'aménagement urbain: non c'est pas elle c'est le privé!
Tout cela prêterait à sourire si cette personne n'était pas responsable de la délivrance de plusieurs milliers d'autorisations d'urbanisme chaque année, et on frémit en pensant aux critères qui la guident dans les arbitrages qu'elle fait quotidiennement depuis 3 ans!
-Mais on n'est pas au bout des surprises quand le journaliste lui parle d'énergie positive des bâtiments et plus particulièrement de la «Tour Occitanie»: grand moment de solitude, elle ne sait pas ce que c'est, jamais entendu parler ... heu serait ce une norme comme HQE?
Naïveté touchante certes, mais pour une responsable de l'urbanisme, ignorer ce qui sera une obligation en 2020, quel aveu d'incompétence et de ringardise, car aujourd’hui comment parler un instant d'urbanisme et d'architecture sans la composante environnementale?
Et on craint de comprendre que l'urgence annoncée pour délivrer le permis de construire du gratte-ciel dès 2019, ait comme objectif de permettre aux investisseurs de réaliser des économies en construisant une tour de 150 mètres avec les normes de la RT-2012, c'est à dire avec des normes environnementales vieilles de 10 ans qui seront remplacées dès 2020 par des obligations en adéquation avec les engagements environnementaux de la France.
C'est ce que notre élue chargée de l'Urbanisme appelle du pragmatisme, et on ne peut s’empêcher de penser à nouveau aux débats de société du moment autour de l'optimisation fiscale, sur la frontière entre la légalité et la morale.
En l’occurrence s'il est encore légal de délivrer un permis de construire avec les normes de 2012, est-il moral de construire la tour Occitanie avec des normes environnementales obsolètes et ringardes au regard des enjeux environnementaux ?

 

 

Ringardise environnementale donc, mais on se dit que si des élus de droite ne sont pas très éveillés à l'écologie et à l'environnement, peut être les architectes eux tiendront la baraque!
Hélas, tel un acteur venant faire la promo de son dernier film, Francis Cardette se prend les pieds dans le tapis face au journaliste de «artdeville» en tentant de défendre son client à défaut de défendre son projet.
Interrogé sur le contexte démocratique dans la décision de construire la «tour Occitanie», il évoque pèle mêle les Capitouls et leurs tourelles, l'intention d'approcher Dieu … la volonté politique très forte de la Mairie … mais pas la moindre référence à l'avis des citoyens, les oubliés de l'histoire.
Bref «le costard des élus est déjà bien taillé» par ses architectes qui les flinguent en croyant les défendre.
S'en suit un verbiage insignifiant plus commercial qu'architectural : créer une respiration, un nouveau centre, une dynamique … des mots visant à enfumer des béotiens, mais rien qui explicite le pourquoi d'une telle tour aux yeux des professionnels.
Le journaliste sentant le malaise recentre sur le métier, l'environnemental, l'écologie, l'énergie positive : mais le tandem Libeskind / Cardette-Huet ne semble pas savoir/vouloir faire et renvoie sur leurs équipiers spécialistes, comme si les grands principes d'un projet n'émanaient pas du concepteur, les équipes s'organisant ensuite pour les mettre en œuvre.
Et de « botter en touche » en parlant des transports et des politiques urbaines qui ne les concernent pas, mais qu'ils souhaiteraient environnementalement vertueuses à défaut que leur construction ne le fut !
Et d'énoncer, en évoquant le réel problème de l'étalement urbain Toulousain, des banalités inexactes, laissant croire que les tours sont propres à densifier la ville, alors qu'à Toulouse le secteur le plus dense est celui des Chalets, et qu'à Barcelone la densité n'est pas assurée par l'unique tour Agbar geste à la mode de la fin du siècle dernier, mais bien par les nombreux îlots urbains de 5 ou 6 étages de l'urbanisation Cerda.
Bref d'évoquer nombre de considérations environnementales exogènes afin ne pas avouer qu'il n'y a aucune volonté d'énergie positive pour la Tour Occitanie...

 

 

Si l'on ne peut pas reprocher à des architectes dont le savoir-faire est connu et reconnu de ne pas donner à ce stade du projet les détails des options constructives retenues, il est quand même regrettable et significatif de ne pas obtenir la moindre évocation de volonté ou d'option d'énergie positive, alors que ce sera la norme dans 2 ans !

 

 

Laissons le mot de la fin au journaliste Fabrice Massé:

«La tour Occitanie ne fera pas partie de ces bâtiments à faible empreinte carbone qui intègrent ce souci pour tout leur cycle de vie, depuis la conception jusqu’à la démolition, sous le sigle E+C- (Energie positive, réduction carbone), puisqu’elle sera majoritairement en béton. Mais elle aurait pu.»

 

 

Ringard avant que d'être le gratte-ciel de Toulouse …

 

 

Pierre Cambon

 

 

 

 

 

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