Promenade sur les pas de Laporte Blairsy

Promenade proposée par J-L Ducassé

 

Il y a deux statues dans notre quartier, œuvres d’un même sculpteur Léo Laporte-Blairsy. Né le 5 avril 1865 à Toulouse, il a été l’élève à l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris de deux autres toulousains célèbres Alexandre Falguière et Antonin Mercié. D’emblée, il est curieux de constater que la rue qui relie physiquement les deux œuvres est la rue Alexandre Falguière : hasard ou volonté délibérée ?

Laporte-Blairsy est considéré comme un sculpteur et médailleur rattaché au mouvement de l’Art Nouveau. Il a été, entre autres, sociétaire du Salon des artistes français à partir de 1897 ; il y reçoit une médaille de troisième classe (1894), une de deuxième classe (1898) et une de première classe (1914). Une belle progression … À noter que déjà à l’exposition universelle de 1900, il obtient une médaille d’argent.

 

Avant de détailler les deux statues, et si vos pas vous guident plus loin que le kilomètre parfois réglementaire en période de confinement, sachez qu’il existe au parc Michelet du faubourg Bonnefoy la statue « Le Faubourg Matabiau » qui date de 1900 et qui lui avait été commandée par la ville de Toulouse pour l’aménagement … de la place du Capitole. Au jardin du Grand Rond vous pourrez voir « Le Réveil de Morphée » dont le double en plâtre se trouve au musée des Augustins (1894). Et, enfin, un peu plus loin, sur la façade de l’École des Beaux-Arts, vous découvrirez un haut-relief en pierre représentant « La Sculpture » qui date de 1896.

 

Inauguration 3 mai 1913
Inauguration 3 mai 1913

Dans l’ordre chronologique, la première œuvre est la statue de la Poésie Romane, place de la Concorde. Cette statue porte ce nom et non celui de Clémence Isaure car selon le numéro 80 de La Gazette des Chalets publié à l’hiver 2014 et à la page 8 « en 1913, beaucoup d’officiels avaient été alors choqués par l’esthétique « décadente » de cette fontaine et lui avaient refusé le nom de Clémence Isaure proposé par Laporte Blairsy ».

 

Son histoire commence avec le testament du 10 mai 1905 d’Octave Sage, pharmacien place de la Concorde à Toulouse, qui institue l’Académie des Jeux Floraux son légataire universel. Il lègue 20 000 francs à la ville de Toulouse pour édifier une fontaine monumentale avec vasque à l’intersection des rues Falguière et de la Concorde et ceci afin d’amener de l’eau potable au quartier naissant. Le 18 novembre 1909 le conseil municipal stipule un programme du «concours ouvert aux artistes français nés ou domiciliés à Toulouse, ou lauréats des concours des grands prix et des petits prix municipaux de l’École des Beaux-Arts de Toulouse».

 

Le 1er juillet 1910, le jury élit Léo Laporte-Blairsy ainsi que l'architecte Guitard et l'entrepreneur Portet. La maquette du concours est ainsi conçue « une vasque de pierre à six pans où s’encastrent par alternance trois inscriptions et trois bas-reliefs de bronze représentant des paysages toulousains … ».

 

Une des trois inscriptions concerne les « LEGS SAGE aux Jeux Floraux, à la Ville de Toulouse ».

 

L’autre, un couplet de « La Toulousaine » de Lucien Mengaud

 

O moun pays, O Touloso Touloso

Qu’aymí tas flous toun cel toun soulel d'or

Al prep de tu l'amo se sent hurouso

Et tout ayssí me rejouis le cor.

 

Et la dernière un quatrain signé Pipert :

 

Je scrute du regard cette ville éclatante

Où la joie et le deuil ont mêlé leurs couleurs

Et parmi tant de voix dont la douceur me tente

J’hésite et je ne sais à qui donner mes fleurs.

 

Les trois reliefs de bronze représentent le cloitre des Augustins, le Pont Neuf de Toulouse et le pont Saint-Pierre avec son ancien tablier suspendu.

 

Poursuivons la lecture de la maquette du concours qui se termine par « … et tout en haut Clémence Isaure, règne debout dans sa robe archaïque, baissant les yeux vers le sol et semblant y chercher celui auquel elle doit décerner la couronne qu’elle tient à la main ». En effet dans la version définitive Clémence Isaure ne tient pas la fleur du gai savoir (la violette, le souci ou l’églantine) mais une couronne de fleurs dont la courbe s’harmonise avec le mouvement de la robe (Photo). Mais ceci valut à Léo Laporte-Blairsy des critiques virulentes de ceux qui ne reconnaissaient pas la figure légendaire de Clémence Isaure, avançant même « un caractère plus fantaisiste qu’historique ou symbolique ».

Désormais la statue-fontaine ne fut plus appelée Clémence Isaure mais La Poésie Romane (photo).

 

Elle fut inaugurée le 3 mai 1913, jour anniversaire des premiers Jeux Floraux, en présence de Jean Rieux, maire de Toulouse, de Madame Sage et de son fils.

 

les critiques ne s’arrêtèrent pas après l’inauguration puisque l’on retrouve dans un numéro de 1941 du journal La Garonne, un écrit de Paul Mesplé qui la dit caractéristique du « modern style de 1900 à l’agonie et de son aberration comique ».

 

Comme tous les sculptures de bronze de Toulouse, elle est démontée en 1942 pour échapper à la réquisition et à la fonte et elle est retrouvée intacte à la fin de la Seconde Guerre mondiale

 

Hier, comme aujourd’hui lors du repas du quartier Chalets-Roquelaine les 21 juin, cette fontaine est un lieu de jeux habituel des enfants de la Concorde. (photo)

 

Malgré le souhait initial d’Octave Sage, cette fontaine est dite d’eau non potable tel qu’inscrit sur le rebord de la vasque (photo). Est-ce toujours vrai en 2020 ?

 

 

 

En prenant la rue Falguière, à droite en regardant la fontaine, vous débouchez au bout de cette rue sur la place Roquelaine. Sur cette place se trouve le monument aux morts commémorant le conflit mondial de 1914 à 1918 avec l’inscription « Aux morts glorieux des quartiers Bayard, Matabiau, Concorde, Chalets ». En effet, après ce qui a été appelée la Grande Guerre, les habitants des quartiers Bayard, Matabiau, Concorde et Chalets, désireux de commémorer le souvenir de leurs enfants morts au combat, forment rapidement un comité pour financer leur projet. Le siège de l'association est situé au café Estrade, 29 rue de la Concorde. Une subvention est demandée à la Ville qui valide le versement de 1 000 francs, lors du conseil municipal du 25 janvier 1921. Et la recette globale recueillie par le comité s'élève à 43 000 francs.

 

 

 Léo Laporte-Blairsy, associé à la Fonderie Susse Frères et à l’entrepreneur Gâche, réalise une œuvre ambitieuse en bronze de « La France protégeant la Civilisation ». La France, représentée sous les traits d'une femme, porte le bonnet phrygien. Tandis que d'une main elle tend un glaive pour repousser l'ennemi, de l'autre elle protège de son bouclier la Civilisation assise à ses pieds. Cette dernière, couverte du voile des veuves, serre contre elle un flambeau allumé et tient de sa main gauche une couronne de laurier. Sont à noter la représentation sur le monument aux morts de différents objets, emblèmes de la culture et l'art : le violon du musicien, la palette du peintre, l’équerre et le compas de l'architecte, le rabot du menuisier, le maillet du sculpteur, le livre de l'écrivain. Dessous a été accrochée une palme en bronze offerte par l'école Bayard en 1923.

 

Cette statue repose sur un pilier commémoratif de type piédestal sur lequel sont inscrits les noms des « morts glorieux ». A l'arrière, figure les dates "1914 -1918" et une seconde plaque de la Société les fusillés dédiée aux enfants de la Concorde morts pour la France.

 

La cérémonie d'inauguration se déroule en deux temps, le dimanche 4 novembre 1923.

 

A 11h, une messe de requiem est célébrée en la basilique Saint-Sernin.

 

A 14h, un cortège partant du siège du comité, rue de la Concorde, se dirige vers la place Roquelaine. De nombreuses personnalités locales sont présentes : MM. le commandant Barthel, représentant le général du 17ème corps d'armée ; le général Trainert, vice-président de l'union des Pères et Mères dont les fils sont morts pour la Patrie ; Duchein, sénateur ; Gheusi et Ducos, députés ; Paul Feuga, maire de Toulouse ; Domergue, Béluel et Orsini, adjoints et divers conseillers municipaux. Les associations (le Souvenir Français, l'Alliance Toulousaine, l'Etoile d'Orient, la Fédération des Mutilés, l'Association des Poilus du 17ème corps d'armée, la Maison du soldat), les élèves des écoles, les membres du comité, les habitants des quartiers... composent la foule assistant à l'inauguration. Lors de cette cérémonie, le président du Comité remet, officiellement, le monument à la ville.

 

Emblêmes des sciences, de la culture et des arts
Emblêmes des sciences, de la culture et des arts
La tombe familiale au cimetière Saint-Cyprien
La tombe familiale au cimetière Saint-Cyprien

 

Il faut enfin noter que le quartier Lalande au nord de Toulouse a une rue Léo Laporte-Blairsy.

 

On ne sait si Léo Laporte-Blairsy assista à cette cérémonie mais quelques jours plus tard (sans aucune autre précision) il décède et sa mort est annoncée par La Dépêche et repris par Le Cri de Toulouse dans son édition du 17 novembre 1923. Il est enterré au cimetière Saint-Cyprien, la tombe familiale est ornée d'une douleur qu'il a lui-même sculptée.

 

 

Le CRi de Toulouse 17 novembre 1923
Le CRi de Toulouse 17 novembre 1923

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